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Un artiste multidisciplinaire dont le travail se situe aux points d’intersection entre la danse, l’art du jonglage et la recherche

Sans jamais sacrifier à l’effet gratuit, son travail oscille librement entre poésie, invitation au voyage et plongée dans des univers singuliers dont le dénominateur commun semble être une passion pour le jeu.

La compagnie vient de signer un spectacle dansé

Intitulé de manière prémonitoire Convergence 1.0, en apesanteur, où les balles virtuelles voltigent dans l’espace, comme affranchies des lois physiques et s’apprête à entamer une résidence au CECN en vue d’une nouvelle création reTime, où il se joue de la perception du temps. Entretien avec le créateur d’un genre nouveau, issu d’une discipline que l’on n’a guère l’habitude de voir flirter avec la technologie.

 

Questions réponses avec Adrien Mondot

Pouvez-vous nous détailler votre parcours et en quoi celui-ci a influencé votre méthode de travail ?

Adrien Mondot : Après une formation universitaire, j’ai travaillé assez rapidement à l’INRIA (Institut National de Recherche Informatique et Automatique) et, parallèlement à cela, j’ai développé une grande activité autour du spectacle de rue, deux mondes fort opposés en apparence mais que j’ai plaisir à faire cohabiter ensemble.

Il y a deux ans, j’ai décroché un rôle d’interprète pour la compagnie de danse contemporaine Yvan Alexandre et, dans la foulée, j’ai participé à l’opération européenne Jeunes Talents Cirque. Grâce à cela, j’ai pu faire le lien entre mon passé lié à l’informatique et mes inspirations artistiques d’aujourd’hui, en présentant un projet qui traitait du jonglage virtuel. La question que je me suis posée était dès lors : « que resterait-il du jonglage si on enlevait les balles ? ». L’informatique m’a tout de suite paru un moyen intéressant pour procéder à une mise en abîme de la pratique du jonglage.

Après 1 an 1/2 de recherche, tout cela a abouti à la création de Convergence 1.0. En outre, à l’issue de cette opération, je me suis décidé à créer une structure dans laquelle je pourrais faire évoluer harmonieusement ma recherche. Aujourd’hui, celle-ci compte six personnes.

Dans votre spectacle Convergence 1.0, la technologie vient à la rencontre du jonglage. Quelle forme prend exactement cet alliage singulier?

A. M. : Tout d’abord, il s’agit d’un vrai spectacle, présenté sur un plateau, d’une durée d’environ 50 minutes, avec un côté assez intimiste. Nous y présentons une forme particulière de l’art du jonglage, dans un univers solitaire, qui résonne comme une mise à nu sur le plateau.

Pour ce spectacle, j’ai développé un logiciel nommé Convergence, qui me permettait de réaliser ce dont j’avais envie. Il s’agit d’un véritable simulateur de jonglage, où l’on peut chorégra-phier la trajectoire des balles et où, de surcroît, tout est définit en direct.

Traditionnellement, le jonglage ne joue que sur la gravité, tandis qu’ici, grâce à ce programme, on peut influer sur beaucoup plus de paramètres, comme la vitesse, le temps ou la rotation des balles virtuelles. Le résultat étant assez visuel. Grosso modo, le système repose sur un moteur de particules, développé sous forme de modules permettant par exemple d’interpréter des éléments issus de captures de mouvement et de les représenter en temps réel sous forme animée.

Le système en soi ne comporte pas d’intelligence artificielle, bien qu’il y ait une pseudo intelligence, qui est plutôt une série de paramètres aléatoires dirigés,que m’a inspirés l’étude du mouvement d’essaims d’abeilles. En outre, les éléments agissent les uns sur les autres, le trajet des balles virtuelles peut être influencé par l’analyse spectrographique du son sur le plateau, capté par des senseurs.

Quel type de dialogue cherchez-vous à instaurer avec le public par le biais de l’utilisation de la technologie dans vos spectacles ?

A.M. : Avant tout, je ne cherche absolument pas à montrer l’utilisation des technologies. En fait, elles doivent disparaître derrière le spectacle. Pour Convergence 1.0, l’espace scénique est voilé par du tulle, ce qui visuellement donne un effet très dépouillé. L’infrastructure technique n’est jamais apparente, tout reste très discret.

Je pense que la technologie doit être rendue sensible. J’aime toutefois laisser entrevoir aux spectateurs les possibilités d’univers nouveaux rendus possibles grâce à ces technologies, de mondes affranchis des lois physiques où tout est prétexte au jeu.

En vue de faire évoluer votre recherche technologique, quels genres de collaborations souhaiteriez-vous mettre en place avec le mondede scientfique?

A.M. : Je suis en contact avec le milieu académique, notamment l’Université de Reims, et celle de Grenoble, où j’ai étudié. J’y effectue un travail de sensibilisation, j’explique ma démarche aux étudiants. Parfois, cela abouti à une série de travaux pratiques ou à des recherches d’étudiants. Je pense déjà qu’il y aura un Convergence 2.0 car, pour l’instant, l’image virtuelle est projetée sur un seul plan de tulle, qui joue le rôle d’écran.

J’aimerais pouvoir élargir cela en ouvrant l’espace sur plusieurs plans et en améliorant les interactions entre les systèmes de capteurs sur le plateau et les réactions du logiciel. Mais pour programmer davantage de réactivité, il faut un développement particulier qui nécessite des temps de réactions extrêmement faibles. Les outils existants (Max/MSP ou Life Form notamment) ne sont pas très adaptés à ce genre de travail, ce sont des usines à gaz avec trop de fonctions dont beaucoup sont inappropriées pour l’usage auquel je les destine.

J’aimerais donc développer une gamme d’outils beaucoup plus simples mais dédiés aux arts de la scène. Donc, moins de fonctionnalités, mais mieux adaptées.

Comment se déroule le processus de création ? Les artistes avec qui vous collaborez ont-ils comme vous un background pluridisciplinaire ?

A.M. : Au départ, j’apporte quelques idées et puis, on expérimente et on écrit, en épurant progressivement pour arriver à ce qui va finalement rester. Parmi nous, il y a une musicienne, Veronik Soboljevski, qui compose des pièces mêlant électronique et violoncelle.

De manière générale, chacun amène sa sensibilité particulière. Dans notre travail, tout concourt à une mixité harmonieuse entre réalité et virtualité.

Votre travail témoigne de marques d‘intérêts de la part des pouvoirs publics, mais quelles formes de soutien complémentaire recherchez- vous ? Comment un centre de compétence comme le CECN peut-il apporter concrètement sa pierre à l’édifice ?

A.M. : Pour le moment, nous sommes en résidence pour deux ans au Manège de Reims. Nous bénéficions également d’une aide du DICREAM et nous sommes aussi soutenus par Les Subsistances, un lieu de recherche et de création basé à Lyon. Par ailleurs, nous sommes souvent invités dans des festivals qui mêlent art et science comme Via par exemple. Avec la création de Convergence 1.0, notre première saison démarre véritablement cette année.

Nous recevons principalement une aide de type financière, mais, pour l’instant, nous sommes contraints de travailler seuls. Or, il est difficile de s’occuper à la fois de la programmation informatique, de la dramaturgie et d’être interprète. Mon souhait serait de développer une gamme d’outils Open Source, simples d’utilisation.

Pour ce faire, il me faudrait fragmenter le programme Convergence en plusieurs sous-ensembles génériques, comme par exemple un système de multi-diffusion vidéo, un autre proposant des fonctions de dessin basés sur le traitement des particules ou encore des outils de traitements en direct du signal vidéo. Mais aujourd’hui, je suis freiné dans ma recherche car je ne dispose pas des machines pour pouvoir faire aboutir ce projet. En ce sens, un organisme comme le CECN peut être un précieux soutien en mettant à disposition ce type de matériel, notamment des cartes vidéo pour de la multi-diffusion, etc.

Je vais d’ailleurs effectuer une résidence au CECN au mois d’avril, qui me permettra de me concentrer sur l’écriture et la réalisation de mon nouveau projet reTime, qui joue sur la perception temporelle et sur la dilatation du temps. J’utilise à cette fin la métaphore de la chute de la balle de jonglage. Que se passe-t-il durant le temps de cette chute ?

Grâce à une distorsion temporelle effectuée en filmant des séquences à 30 images/seconde et un retraitement en direct par ordinateur, je peux moduler complètement la perception que l’on a de cette chute. reTime devrait donner lieu à un spectacle de type court qui sera d’ailleurs présenté publiquement au Festival Pisteur d’Etoiles à Obernai. En outre, de par mon double parcours, il peut y avoir une approche intéressante à partager lors de formations. Sur des outils plus directement accessibles, notamment sur les logiciels vidéo, il reste de nouvelles choses à explorer susceptibles d’intéresser les gens qui utilisent la vidéo en direct. J’espère que cela pourra faire l’objet de futures ateliers.

Quels sont vos projets futurs ?

A.M. : Ils s’orientent autour de quatre axes : la création de petites formes reposant sur une idée exploitant une technologie en la poussant à l’extrême de manière à arriver à la déconstruction de celle-ci, ce qui constitue l’essence de mon nouveau projet reTime, ensuite, le développement d’outils logiciels libres ainsi que la diffusion de Convergence 1.0 et enfin, la collaboration avec d’autres compagnies comme celles de Stéphanie Aubin ou de Kitsou Dubois.

Toute jeune compagnie créée en 2004, Adrien M s’est donnée deux axes de recherche

Le développement informatique pour la création artistique, autant dans les domaines graphiques que sonores, en tentant d’explorer les nouvelles possibilités et enjeux qui entraine l’utilisation de cette technologie.

Un travail sur la danse et les objets dansants, ce qui pourrait être considéré comme du jonglage, et plus généralement sur le geste.

Renseignements sur le contenu

Vincent DELVAUX,

Publié le 2006-05-02

Source Texte : www.cecn.com, Magazine des Ecritures Numériques et des Arts de la Scène n. 04