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Technologie et saveur urbaine au théâtre

Brassard s’aventure à nouveau du côté de l’intime et de l’interdit, des mondes et des réalités parallèles dans sa dernière création solo Peep Show.

Marie Brassard a fait ses études au Conservatoire d’Art Dramatique de Québec. Pendant plusieurs années, sa carrière a été intimement liée à celle du metteur en scène Robert Lepage. Elle a quitté la compagnie il y a 3 ans pour créer sa propre compagnie Infrarouge Théâtre.

Après deux créations Jimmy, créature de rêve, et La Noirceur qui ont fait d’elle une figure singulière de l’art contemporain, Marie Brassard s’aventure à nouveau du côté de l’intime et de l’interdit, des mondes et des réalités parallèles dans sa dernière création solo Peep Show.

Questions réponses avec Marie Brassard

Peep Show est présenté au nouveau théâtre du manège.mons dans le cadre du festival VIA 2006 puis en première française au festival EXIT. Pouvez-vous décrire le dispositif scénique de Peep Show ? Son environnement technologique ?

Marie Brassard : Au tout début de la création du spectacle, j’avais déjà cette idée d’un lieu ouvert et sans repère, avec une toute petite créature au milieu : un être humain debout au cœur d’un vide affolant. Avec Simon Guilbault, le scénographe, on a imaginé ce mur de lattes de bois évoquant la forêt de laquelle émane une lumière diffuse.

Les éclairages sont créés par les lampes mais aussi par des images en mouvement projetées sur le mur ou sur le sol qui semble parfois flotter. Il s’agit toujours pour moi d’évoquer un lieu ou un état, mais jamais d’une manière réaliste. J’aime donner aux spectateurs un signe de la chose et non la chose. Le théâtre est le medium idéal pour cela, contrairement au cinéma où l’on doit souvent flirter avec le réalisme.

Au théâtre, on a cette permission qui est presque un devoir, de protéger des zones grises, des espaces flous  l’imagination du spectateur peut s’aventurer et même s’égarer. Depuis plusieurs années, je m’intéresse à l’utilisation de la technologie relative au son.

Le son peut être extrêmement évocateur évocateur et s’avérer être un outil de mise en scène puissant et versatile. On peut par le son suggérer des lieux, des atmosphères, même des époques. Je peux en tant qu’actrice transformer ma voix d’une manière spectaculaire et ça me permet d’élargir le champ des interprétations possibles.

Pour ce spectacle, nous faisons usage de processeurs de son comme le processeur d’effet Eclipse de Eventide qui permet de moduler les sons de mille manières et le processeur de voix Voice One de TC-Helicon qui permet de « modeler » les voix. Il y a aussi un échantillonneur, des pédales de réverbération, des ordinateurs… En fait, une panoplie complexe qui nous permet d’arriver à élaborer une partition sonore qui semble toute simple à l’écoute.

En matière de traitement de la voix, du son, mais aussi de la vidéo, quelles sont les évolutions entre Peepshow et les deux précédents spectacles, La Noirceur et Jimmy, créature de rêves, - tous deux présentés également dans les éditions précédentes du festival Via ?

M.B. : Lorsque j’ai créé Jimmy, j’ai travaillé avec de vieux modèles de SPX de Yamaha, qui existaient déjà dans les années quatre-vingt. Les
SPX de cette époque sont des processeurs multi effets semblables à ceux que nous utilisons maintenant, mais bien sûr beaucoup moins sophistiqués.

Ils sont très simples à utiliser (je les manipulais moi-même pendant la création, c’est tout dire…) et combinés avec la voix, à l’écoute du son qu’ils produisent, on entend très bien qu’il s’agit d’un son trafiqué. Ce qui peut être intéressant pour un certain usage bien sûr. J’aime toujours ces machines. Dans Jimmy, je n’utilise pas ces appareils pour créer une atmosphère musicale par exemple ou pour traiter le son ambiant mais pour transformer les paramètres de ma voix et par là, créer des personnages très différents les uns des autres. Dans ce spectacle, la musique est presque absente, toujours un peu en arrière-plan.

Je n’imaginais pas à l’époque que cette utilisation du son éveillerait en moi autant d’intérêt, qu’elle ferait un jour partie de ma signature en quelque sorte. Dans La Noirceur, j’ai commencé à travailler avec Alexander MacSween et ensemble, nous avons eu envie d’explorer les possibilités d’utilisation des processeurs et échantillonneurs et pendant plusieurs semaines, nous avons improvisé et expérimenté les combinaisons possibles et les chemins pouvant être empruntés par le son. Par exemple, un son échantillonné peut être retraité dans un processeur qui atténue sa texture ou alors les paramètres d’une voix peuvent être altérés avant que celle-ci ne soit transformée en son et ainsi de suite territoire, dans le cas de Peepshow, il s’agissait de l’intime.

Ensuite je travaille très étroitement avec Alexander. Nous improvisons ensemble des atmosphères musicales en proposant l’un et l’autre des éléments et à l’aide du processeur de voix, j’essaie de découvrir qui seront les personnages. Ceux-ci naissent de la technologie et non l’inverse. Je ne les imagine pas à prime abord pour tenter de les rendre concrets ensuite. Tout est très chaotique en fait, je n’ai pas de méthode. Lentement les improvisations donnent lieu à des histoires et j’essaie de faire sens de tout ça.

C’est de cette manière que j’écris. C’est comme un jeu où les éléments du puzzle sont peu à peu révélés et il faut ensuite deviner de quoi il est question ! Tout se crée au même moment. J’encourage mes collaborateurs à assister aux répétitions et aux séances d’improvisation. Parce que je peux avoir une idée au début qui va complètement changer en cours de route ; parfois tout évolue très vite. Ensemble, nous lisons, nos regardons des films, nous faisons des essais concrets avec la lumière, les images, les sons ; les décisions sont souvent prises très tard. Je n’aime pas arrêter les décisions trop tôt. Ça fait partie d’une sorte de plaisir sportif du risque que de garder tout le monde sur la corde raide jusqu’au tout dernier moment !

Est-ce que la pièce fonctionne avec la précision d‘un programme informatique, en terme d’écriture, puis d‘interprétation ? Y a-t-il une part d’imprévu dans les spectacles ?

M.B. : Sur scène, pour ce spectacle, nous avons choisi d’utiliser des micros omnidirectionnels parce que j’aimais le danger que leur utilisation représente.
Comme ils sont très sensibles et captent tous les sons ambiants, il y a toujours le risque que la partition soit dérangée si je puis dire. La présence de deux acteurs sur scène amplifie également le risque de création de feedback, et nous nous sommes retrouvés avec cette quantité d’accidents potentiels à gérer.

C’est devenu très intéressant, parce que nous avons finalement utilisé ces feedbacks comme des instruments étranges. C’est à ce moment que nous avons dû nous adjoindre un technicien spécialiste du son, pour alléger la tâche d’Alexander et afin que quelqu’un puisse réagir en cas d’accident. Nous travaillons depuis, lors des représentations, toujours en trio. Dans Peepshow, ma volonté était de créer un spectacle où la musique serait très importante, toujours présente.

Alex a composé plusieurs pièces, comme les éléments d’une mosaïque, à l’image du texte de la pièce elle-même. Il y a dans Peepshow une quantité plus grande de personnages et nous avons davantage utilisé la voix comme un son et souvent, les sons qu’on entend et certaines parties des pièces musicales sont générés par la voix qui est traitée en direct.

Au niveau de la vidéo, le travail a réellement commencé dans La Noirceur, avec les images magnifiques de la vue sur Montréal réalisées par l’artiste française Cécile Babiole. Dans Peepshow, la présence de la vidéo est provocante d’une autre manière, puisque les images sont souvent indéfinissables, floues, inquiétantes.

Vous écrivez une trilogie « urbaine » ?

M.B. : Ce terme de trilogie urbaine n’est pas un terme que j’ai moi-même choisi. Il s’agit d’une expression qui a été un jour utilisée par une
journaliste et qui est tout à coup devenue une sorte d’expression consacrée pour décrire le travail que j’ai réalisé jusqu’à maintenant.

Au début je n’aimais pas le terme Trilogie, parce qu’en disant voilà, avec ce spectacle, sa Trilogie est terminée ça voulait dire que c’était la fin ! Alors que pour moi, ces trois spectacles sont le début de quelque chose.

Mais il y aura bientôt un quatrième spectacle, et alors, l’expression ne sera plus valide ! Quant au mot « urbain », je dis oui, pourquoi pas, puisque le travail est le fruit d’une réflexion amorcée par les habitants d’une grande métropole, on y retrouve sans doute une saveur urbaine, inévitablement.

Composez-vous simultanément les textes et les images ?

M.B. : Dans chacun de mes spectacles, tout naît de l’improvisation. Tout d’abord je propose un territoire, dans le cas de Peepshow, il s’agissait de l’intime. Ensuite je travaille très étroitement avec Alexander.

Nous improvisons ensemble des atmosphères musicales en proposant l’un et l’autre des éléments et à l’aide du processeur de voix, j’essaie de découvrir qui seront les personnages. Ceux-ci naissent de la technologie et non l’inverse. Je ne les imagine pas à prime abord pour tenter de les rendre concrets ensuite. Tout est très chaotique en fait, je n’ai pas de méthode. Lentement les improvisations donnent lieu à des histoires et j’essaie de faire sens de tout ça. C’est de cette manière que j’écris.

C’est comme un jeu où les éléments du puzzle sont peu à peu révélés et il faut ensuite deviner de quoi il est question ! Tout se crée au même moment. J’encourage mes collaborateurs à assister aux répétitions et aux séances d’improvisation. Parce que je peux avoir une idée au début qui va complètement changer en cours de route ; parfois tout évolue très vite.

Ensemble, nous lisons, nos regardons des films, nous faisons des essais concrets avec la lumière, les images, les sons ; les décisions sont
souvent prises très tard. Je n’aime pas arrêter les décisions trop tôt. Ça fait partie d’une sorte de plaisir sportif du risque que de garder tout le monde sur la corde raide jusqu’au tout dernier moment !

Est-ce que la pièce fonctionne avec la précision d‘un programme informatique, en terme d’écriture, puis d‘interprétation ? Y a-t-il une part d’imprévu dans les spectacles ? Sur scène,êtes-vous affranchie des lois de la programmation informatique ou, au contraire, êtes-vous soumise à un time code imparable ?

M.B. : Alex et moi nous essayons de faire en sorte que la majorité des opérations soient réalisées en direct. Cela diminue le risque d’accident, puisque nous pouvons toujours réagir. Si les choses étaient par exemple préenregistrées, nous serions esclaves d’un rythme prédéterminé, ce qui n’est pas notre désir. Bien sûr il faut avoir sans cesse l’esprit présent et une grande écoute de l’autre, mais nous ne sommes pas esclaves de la technologie.

Vous explorez l‘intimité blessée, la fragilité des êtres ; le «tomber amoureux», le fantasme, le désir, le sexe, la désillusion : pourriez-vous aujourd’hui écrire, mettre en scène et interpréter ce spectacle sans technologie ?

M.B. : Oui bien sûr. On peut traiter de tous les sujets de toutes les manières. Mais pour l’instant, cette exploration de l’utilisation et de l’assujettissement de la technologie nourrit mon plaisir.

Renseignements sur le contenu

Florence LALY,

Publié le 2006-05-02

Source Texte : www.cecn.com, Magazine des Arts de la Scène et des Ecritures Numériques n.4